Une journée ordinaire à la mine

Umi était parti dans une exploration minière proche de la cité de Kazad-Klad. Il avait choisi une mine latérale dans la partie sud-ouest à quelques profondeurs. Il n’était pas seul dans la zone amenant un sentiment de confiance. Il était rare que des monstres soient si près de Kazad-Klad mais sait-on jamais. Il renifla, ses poils de nez drus vibrants près de la pierre, puis contempla ses mains rêches, aux doigts musculeux. Ses cheveux et sa barbe étaient roux foncés presque châtains. Solidement charpenté, les muscles saillants, sa sur-veste était légèrement tachée et effilochée malgré le tissu rugueux en poils de cochons à poils longs particulièrement résistant élevés dans les cavernes de Kazad-Klad. Il passa sa grosse pogne contre le mur, sa main crissant légèrement contre la paroi qui était granuleuse et très légèrement humide. C’est parfois dans ces coulées qu’on trouvait les meilleurs filons. A côté de lui, des petits bruits de pioches ponctuaient une atmosphère de labeur. Il énonça d’une voix rocailleuse comme pour se donner du courage.

- 30 degrés plein sud.

Sa langue passa sur ses lèvres et il gouta l’air comme s’il aspirait les quelques poussières rocailleuses puis il agrippa sa pioche entièrement en acier du manche jusqu’à la tête. Il l’observa, la fit tourner une fois dans ses mains, dans un léger son vrillé, puis de ses bras veineux tapa dans la pierre, détachant un morceau de roche dans un son mat. Il poursuivit à une vitesse de creuse naine, endurante et fougueuse, créant rapidement un trou béant, avançant dans la terre. Ses oreilles poilues et le casque de conception simple enfoncé sur sa tête, le protégeaient des débris de rocs et de la poussière, tout comme les poils de son nez servaient de filtre pour ses narines. Il creusa de manière à consolider l’ensemble, laissant seulement la place de dégager les morceaux de rocs à la sortie de son petit tunnel, les transportant parfois à petites enjambées, entre des séries vivaces de coups de pioche. Il s’arrêta après une dizaine de minutes, pris un morceau de terre compacté et l’écrasa entre ses doigts puis en posa un petit morceau sur sa langue. Goût métallique. Il le laissa retomber et pensa à l’Académie. L’Académie était un lieu central de l’histoire naine, implantée à Kazad-Klad, forme de service militaire pour les nains de toutes les cités et rites implicites de passage à l’âge adulte, c’était une institution prestigieuse, admirée et, en soi, admirable. Voilà qu’avait sonné ses 45 ans. Défendre la cité était un devoir et un honneur. Toujours sous tension, Kazad-Klad était comme un dragon endormi, harcelé constamment par les peaux vertes et plus terribles encore. Les runes défendaient la cité contre les abominations les plus massives qui avaient infestés les tunnels mais pas les formes les plus bénignes, si bien que maints gobelins et parfois même des orcs remontaient constamment des tunnels par peur de leur chef ou cherchant la gloire et à passer vers l'est. Depuis l’infestation, des pans entiers de tunnels et de succursales de la cité avaient été envahi et peu avait depuis été reconquis. On disait que les runes de protection étaient même antérieures à l’infestation et datait du temps de l’exode. Les mythes et les légendes se fondaient avec le réel. Tandis qu’il palabrait mentalement, l’acier cuisant continuait à entailler la pierre et il reprit comme une litanie lui permettant de revenir au réel.

-30 degrés plein sud.

Enfin il s’arrêta pour toquer contre un morceau de roche dont la granularité différait. La paroi résonna légèrement faisant remonter sa vibration subtile du bout de sa phalange jusqu’à son bras. Plus dur. Il donna quelques coups pour évaluer la roche. Oui, plus dure. Dans son petit tunnel personnel, les échos des autres pioches étaient désormais lointains et assourdis. Il aimait cette atmosphère, ce cocon de pierre et de terre autour de lui, loin du tumulte de la cité. Quelques gouttes de sueur perlaient sur son front et se mêlaient à la poussières du roc. Umi sourit et se parla à lui-même : du roc pour Rocacier. Son nom de famille, son nom de clan, résonnait comme une bravade inconstante au destin. Son père serait-il fier de lui ? Il retourna à ses coups, faisant corps avec la roche, la touchant de temps en temps des mains comme avec amour. Enfin, un bruit mat résonna quand un morceau en toucha un autre en tombant. Du fer, enfin du moins, une roche contenant des éléments ferreux. Pris dans l’élan, il continua à éclaircir la zone à grand coup de son arme façonneuse tout en déblatérant gaiement une comptine enfantine.

- Un deux, dans le roc creux, trois quatre, je creuse mon âtre, cinq six, je compte mes fils, sept huit, la viande est cuite, neuf dix, ma belle bâtisse.

Après quelques minutes supplémentaires, le nain roula des épaules, pris un sac en tissu fibreux et sortit les rocs du petit tunnel. Puis il les tria, les reniflant et les observant tout en remplissant le wagon de mine non loin dans un brouhaha lorsque les premiers morceaux de roche chutaient l’un après l’autre au fond du wagon de métal. Il laissa sur place les roches les moins prometteuses puis tira son wagon en sortant du tunnel commun en direction de Kazad-Klad. Ses pensées vagabondaient : demain, je rentre à l’Académie, brin de mélancolie, brin de folie, brin de scories. Il croisa quelques nains dont certains se retournèrent sur son passage, regardant ce qu’il avait bien pu trouver, jetant un œil curieux au wagon. Il leur adressa un hochement de tête entendu, sa voix rocailleuse résonnant à basse intensité dans le tunnel.

- 30 degrés plein sud.